Dans le nouveau film de Carine Tardieu, Fanny Ardant incarne une héroïne septuagénaire qui tombe amoureuse d’un homme bien plus jeune qu’elle. Ce film délicat et émouvant offre à la comédienne l’un des plus beaux rôles de sa carrière.
Elle affiche 70 ans et ne cherche pas à dissimuler son âge derrière d’artificiels subterfuges. Elle partage sa vie entre Paris et l’Irlande, où elle habite dans une maison isolée au bord de la mer et où elle dialogue avec sa solitude. Elle se sait atteinte par une maladie dégénérative, mais, ennemie jurée de la complaisance et de la sensiblerie, elle ne se lamente pas sur son sort.
Shauna, une femme discrète et infiniment pudique, ne se doute pas un instant que son existence est sur le point de basculer. Pour la dernière fois peut-être… Sa rencontre avec Pierre, un médecin âgé d’une quarantaine d’années, chamboule pourtant son quotidien et son âme. Les deux personnages tombent éperdument amoureux et deviennent amants, en se foutant du « qu’en-dira-t-on » et en prenant des risques par rapport à leur entourage, qui observe avec scepticisme (au moins) ces « jeunes amants » et cette histoire « contre-nature » qui semble à leurs yeux condamnée à l’échec.
Le goût de la liberté
À l’origine, le projet des Jeunes amants aurait dû être filmé par Solveig Anspach, la regrettée cinéaste, décédée en 2015, de Haut les cœurs et de Lulu femme nue. C’est finalement à Carine Tardieu (Du vent dans mes mollets, Ôtez-moi d’un doute) qu’est revenue la lourde responsabilité de tourner cette histoire d’amour inclassable. La réalisatrice honore remarquablement le « contrat » et signe un film émouvant où elle échappe à chaque instant au pathos et aux raccourcis psychologiques que l’on pouvait redouter.
Principal atout de cette fiction ultrasensible : les prestations de ses deux acteurs principaux : Melvil Poupaud, impeccable dans la peau du médecin qui voit tous ses repères s’effondrer, et, surtout Fanny Ardant, « juste » bouleversante dans le rôle de Shauna, cette femme qui aime l’amour, mais qui lui résiste, elle qui sait son déclin inéluctable et souffre de voir son amant sacrifier son avenir pour elle.
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« Shauna n’a rien d’une "cougar", ce mot que je déteste, raconte l’actrice. C’est une inclassable, une femme libre qui ignore les artifices et les poses. Elle s’est retirée du jeu social et refuse de communier sur l’autel de l’éternelle jeunesse. Elle assume ce qu’elle est. Elle ressemble à sa maison en Irlande balayée par les vents, c’est une solitaire irréductible. Je l’aime beaucoup… »
« Shauna semble avoir renoncé à beaucoup de choses, dont l’amour, poursuit Fanny Ardant. Mais elle est bousculée pour le meilleur par une rencontre inattendue. Quelque chose survient et la déborde. Secrètement et presque à son corps défendant, elle continue d’être romanesque. J’aime que cette femme se foute du regard des autres, un signe parmi d’autres de son immense liberté ».
Déraisonnable, toujours
Cette liberté est aussi celle de la comédienne qui, depuis ses débuts et sa révélation dans La femme d’à côté, de François Truffaut, a toujours privilégié les aventures de cinéma atypiques en fuyant comme la peste les projets prévisibles et formatés. Ces dernières années, Fanny Ardant avait déjà campé une héroïne vivant une idylle enivrante avec un homme bien plus jeune qu’elle dans l’insolent et émouvant Les beaux jours de Marion Vernoux. Elle récidive aujourd’hui dans Les jeunes amants, un de ses plus grands rôles.
« Les héroïnes que j’incarne sont souvent des rebelles raconte Fanny Ardant. Des rebelles qui savent que la vie a toujours plus d’imagination que nous et qu’il convient de lui faire plus confiance qu’aux normes et aux parcours fléchés. Je suis attachée à certains rôles, en premier lieu les rôles d’amoureuses. Incarner des femmes de pouvoir qui maltraitent leurs subordonnés, ce n’est pas du tout mon truc. Il y a un fil rouge dans ma carrière : mon attirance pour les femmes passionnées, de "La femme d’à côté" aux "Jeunes amants". J’aime les héroïnes qui ne sont pas raisonnables. »
Sus au conformisme
Intarissable quand elle évoque Les jeunes amants, ce film qui lui tient à cœur, la comédienne ne se lasse pas de vanter le tempérament irréductible de Shauna, son héroïne farouchement indépendante qui refuse de céder aux diktats de son époque. Tout comme elle, Fanny Ardant jette un regard distancié sur les débats « polémiques » du moment et en premier lieu sur les tempêtes récentes provoquées par le néoféminisme.
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« Dans toute révolution, il y a des excès et, parfois, des exactions, conclut-elle. Je suis d’une génération qui a connu un féminisme puissant, mais différent de celui d’aujourd’hui. Pour résumer, le féminisme était plus une affirmation des femmes qu’une détestation des hommes. Notre époque aime compartimenter et communautariser à l’extrême. Cela m’effraie. Il faut se méfier du jeu social et du conformisme. Il ne faut jamais accepter de rentrer dans une case et de se laisser dissoudre. » À méditer…
« Les jeunes amants », de Carine Tardieu. Sortie le 2 février.